Par Fabrice Rigault

Un habitat rural le long de la voie antique reliant Latinum (Meaux) et Metlosedvm (Melun)
Le contexte géographique et géologique
Cette axe a été identifié dès le XIXe siècle comme une possible voie antique (Hugues,
Dutilleux, Carte archéologique de Seine-et-Marne). J. Merqui (1980) semble l’identifier comme un diverticule de l’axe reliant Meaux à Chailly-en-Brie (Via dite d’Agrippa). La mise au jour d’un tronçon de la voie Meaux, Melun, sur le hameau de Villarceaux à Touquin semble être la seule opération effectuée sur cet itinéraire, au moins pour son passage entre Coulommiers et Mormant. Si son tracé est plutôt bien fossilisé dans le paysage, certaines portions sont peu ou pas connues. L’emplacement exact de cette dernière sur la totalité du parcours, demeure aujourd’hui incertain.
Le contexte archéologique
- La voie
La principale source écrite provient des recherches pour la carte topographique des Gaules effectuées à la demande de Napoléon III par l’ingénieur Ferrand au XIXème s. Au sud elle traverse, l’Yerres pour recouper au centre du village un autre axe qui reliait Chailly-en-Brie (Callagum ?) à Touquin, et se poursuivait en direction de Paris (Lutèce). L’utilisation de cette voie, qui a certainement connue plusieurs réaménagements est connue sur les plans d’intendance de 1786 et a perduré jusqu’à nos jours.
- Les sites environnants
Cet axe traversait ou passait à proximité de plusieurs établissements ruraux, habitats groupés ou agglomérations. À Touquin, l’église St Etienne du village, dont l’origine remonterait au VIIème (découverte de sarcophages en plâtre et pierre, anonyme du XIX ème s), est édifiée en bordure de l’axe. Au centre de cette agglomération, elle recoupe une voie qui amenait au site de la butte de Lumigny. Les deux sites antiques Touquin et Lumigny sont distants l’un de l’autre de 2,5 km et sont implantés tous les deux sur une proéminence de sable stampien. Lumigny domine la plaine de 46 m et Touquin de 8 m.
Présentation de l’opération et de l’approche archéologique
Pour l’opération 2011, après accord avec le propriétaire, l’association a pu mener l’opération entre le 14 juillet et le 15 septembre. Elle a été présente sur le site l’équivalent de 22 journées. En premier lieu nous avons effectué un décapage mécanique avec un godet lisse jusqu’aux niveaux archéologiques. La voie est apparue immédiatement sous la couche de labour. L’opération se présente sous la forme de trois tranchées de sondages d’1,20 m de large sur 10 m de long avec des ouvertures au niveau de la voie et de certaines structures rencontrées, ainsi qu’une aire ouverte permettant l’exploration de son environnement. L’ensemble : tranchées et aires ouvertes, correspond à une superficie décapée de 120 m² environ.
Les résultats
Plusieurs structures ont été mises en évidence. L’étude de l’ensemble du mobilier (céramique, métal et faune) permet de borner chronologiquement les vestiges dégagés entre le milieu du I er et le IIIème s. ap. J.C.

Phase 1
Une première phase datée de la seconde moitié du I er s. ap. J.C.a livré une structure qui devait être à l’origine une fosse de 18,80 m de long sur une largeur variante de 3,20 à 0,80 m et d’une profondeur de 0,65 m dont la fonction première ne nous est pas connue (F10). Elle a été rapidement comblée par des blocs parementés pouvant provenir de la récupération de bâti. L’ensemble est organisé de telle manière que la plupart des gros blocs de meulière ou de grès parementés ont la face plane disposée vers l’extérieur. Elle est constituée au centre de pierres disposées en vrac. Contre cette pierrée se trouve en prolongement une autre petite fosse, elle a certainement été creusée au même moment pour accueillir des modules en meulière de petite taille. Il est à noter que ce cailloutis issu de F 21 est à peu près du même gabarit que celui du revêtement de la voie.
- Structure indéterminée
C’est le premier état du bâtiment F 12. Cette structure n’a pas été reconnue sur son ensemble et son plan reste indéterminé. Elle comprenait un sol de couleur verte identique au dépôt que l’on trouve dans les milieux humides, et d’une profondeur de 40 cm sur ce qui a été reconnu en fouilles ; deux masses osseuses identifiées comme des dépôts F 15 et F 25. Les deux ensembles sont contemporains et dateraient de la seconde moitié du I er s. ap. J.C.
- F15
Il regroupe dans une sorte de mise en scène pseudo anatomique, les os d’un seul cheval , âgé de 8-9 ans, d’une hauteur au garrot (1,15 m), le gabarit est analogue à ceux de la structure F 25, sans qu’il soit possible d’être plus précis Ces éléments sont regroupées dans un quadrilatère d’environ 0,40 m x 0,60 m de côté, comme si elles avaient été mises dans un contenant solide (une caisse en bois ou en vannerie).
- F25

Cet ensemble se présente comme un entrelacs d’os étroitement serrés entre eux, placés tête-bêche, comme s’ils avaient été contenus dans un sac. Il se place à 40 cm sous le niveau de F 15. De ce fait, il évoque la possibilité d’un dépôt effectué à une certaine occasion. Parmi la douzaine de pièces qui le compose, les os de chevaux sont les plus nombreux. Les éléments du plus grand permettent d’évaluer sa taille à 1,25/1,30 m, quelques marques fines de prélèvement de la viande au couteau sont visibles sur les corticales.
Du second, a été préservée une extrémité humérale droite, brisée, mâchée. Un dernier cheval, est nettement mieux représenté, il s’agit d’un animal dont la hauteur au garrot est 1,15 m, son âge évalué est d’environ 8-9 ans. L’animal a servi de monture ainsi que deux détails permettent de l’affirmer : d’abord l’usure asymétrique et anormale des prémolaires inférieures consécutive au frottement d’un mors métallique. Tous ces os portent des traces fines de prélèvement de viande. Le dépôt F 25 a également livré quelques os de bovins, eux aussi de petits gabarits. Ces concentrations d’ossements de chevaux ou bovins sont peut-être à rapprocher de la présence de la voie. Il faut remarquer que les structures découvertes datables de la seconde moitié du I er s. ap. J.C. sont parallèles à l’axe. Il est possible qu’une première voie, antérieure à celle fouillé ai existé et ait été modifiée mais nous n’en avons pas trouvé de traces probantes. Cependant au moment du remblaiement mécanique de la tranchée TR 3, un niveau de voie plus ancien est apparu sous une recharge datée de la seconde moitié du IIème s. ou début du IIIème s. ap J.C. Mais découverts tardivement, ces niveaux n’ont pu être fouillés à l’occasion de cette campagne archéologique.
Phase 2
- La voie dans la tranchée TR1
Le décapage a été arrêté à proximité de la surface de circulation, juste en dessous du labour. La couche de roulement dégagée en fouille fine se présente sous la forme d’un cailloutis en pierre calcaire exclusivement conservé sur la bordure Est. Le sommet de la voie arasée a fait apparaître un état de conservation inégal. Au centre de celle-ci apparaissait directement, la couche de fondation et la couche de forme. L’axe a été reconnu sur une largeur de 7,10m. Le revêtement supérieur conservé sur les bas-côté Ouest a une épaisseur de 0,10 m. Il est composé de cailloutis calcaire et meulière de petit module. En dessous, la couche de fondation se compose de bloc de meulière de plus gros volume en blocage de 0,13m d’épaisseur. Vient ensuite une couche de forme composée d’un remblai sombre d’une épaisseur variable (0,10 à 0,25m). Elle a livré, sur sa partie supérieure l’ensemble du mobilier. Celui-ci est difficilement datable, égal ou supérieur à la seconde moitié du IIème s. A l’Ouest de la voie, directement en contact avec la chaussée, un fossé empierré borde l’axe. Il peut s’agir d’un un trottoir ou d’un aménagement de l’accotement.
- La voie dans la tranchée TR 2
La configuration de la voie sur cette partie du sondage est sensiblement différente de celle rencontrée sur la première tranchée. Cette partie du site est en meilleur état de conservation et la construction de l’ensemble de meilleure qualité. Cette partie de la voie a livré très peu de mobilier datant. Les éléments proviennent des structures annexes. La largeur identifiée de l’axe est de 6,50 m. Sur ses parties conservées, le revêtement se compose d’un cailloutis d’une épaisseur de 0,05 à 0,10 m et forme la couche de circulation. Un blocage de pierres meulières de 0,15 m d’épaisseur compose la couche de fondation et un remblais de terre organique de 0,09m à 0,20 m d’épaisseur la couche de forme. Mais la différence de traitement avec la portion dégagée dans la tranchée 1, est que celle-ci est bordée de pierres plantées sur chant formant le contrefort. La surface de ces blocs de meulières et le revêtement supérieur présentaient des traces d’usure liées au passage des véhicules. Les matériaux sont de meilleure qualité. Les blocs utilisés pour la couche de fondation, sont par endroit plus importants, permettant une meilleure assise et stabilité de l’ensemble. La grande différence avec la portion dégagée dans la tranchée 1 est le traitement de l’accotement. A l’origine, un fossé bordier ( F 29) bordait la voie, celui-ci fut comblé, puis la zone de roulement fut élargie et des recharges ont permis de repousser la largeur de la berme pour accéder au bâtiment F 12. Actuellement cet axe est difficile à dater, il est antérieur au bâtiment F 12 et les éléments céramiques découverts dans les remblais datent de la seconde moitié du IIème siècle ou sont supérieurs.
Phase III, le bâtiment F12
L’emprise du sondage n’a permis que de dégager très partiellement deux pièces d’un bâtiment dont les fondations ont une largeur de 0,65 m pour une profondeur de 0,40 m. Elles sont construites en petits blocs bien taillés en pierres meulières calcaire et grès. Les murs étaient montés en bois et torchis et la toiture en tuile. La pièce la plus ancienne est datable par une couche, remaniée lors de la construction, après le début du IIème s. ap. J.C.

Par la suite on accole une nouvelle pièce et c’est peut-être à cette époque que l’on comble le fossé F29 de la voie et qu’on le recouvre d’un sol de cailloutis. Cela permet au bâtiment d’avoir un lien direct avec la voie. La stratigraphie de cette pièce était bien conservée avec un sol de cailloutis et un niveau d’occupation qui a livré un important mobilier d’harnachement et de char en fer, ainsi qu’une herminette. Un niveau de tuiles en place dû à l’éboulement de la toiture fermait l’ensemble. Comme le prouvent les unités stratigraphiques riches en charbon de bois et la paroi de torchis éboulée du mur Sud, l’édifice a été détruit par un incendie au cours du IIIème s. ap. J.C.
Pour conclure
L’ensemble des structures mises au jour est organisé et est peut être mis en relation avec la voie. Avec les indices archéologiques environnants l’opération sur Touquin, c’est tout un réseau de voies qui est mis au jour. Cet ensemble d’axes permet de comprendre l’organisation spatiale de la période gauloise à l’époque moderne sur une micro-région. En 2012 une nouvelle opération aura lieu sur ce site afin de dresser un plan et d’établir une chronologie du bâtiment F12 et de la structure.
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