Patrimoine local

TOUQUIN 1814 : documents seine-et-marnais

Par Dominique Robert

Parmi les documents liés à l’exposition, certains apportent un éclairage sur l’unification républicaine du pays sous la forme de rappel aux lois du préfet du département aux maires des communes, qu’il s’agisse des cultes ou de l’économie.

  • 1801 : la séparation des cloches et du culte

Un document daté du 26 Floréal An IX (16 mai 1801) et signé du préfet Collin concerne l’encadrement très strict de la sonnerie des cloches exclues de toute manifestation religieuse sous peine d’une sanction d’une année de prison pour le desservant.

En vertu des lois de l’An IV, d’une part, les cérémonies religieuses doivent se dérouler dans l’édifice idoine, interdisant de fait toute manifestation dans l’espace public à l’instar des processions. D’autre part, toute publicité de l’exercice d’un culte est formellement prohibée par ces objets liturgiques que sont les cloches. Les cloches sont intimement liées à l’église et à la communauté. Elles sont bien souvent fondues à l’intérieur même de l’édifice puis baptisées en présence du seigneur du lieu. Leurs tintements, seul élément sonore de l’Ancien régime, particuliers à chaque paroisse et familiers aux villageois, rythment la vie des habitants, tant dans l’activité quotidienne que lors des offices et fêtes religieuses. La désacralisation des cloches se fait l’écho de l’article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 et prend tout son sens dans la loi de réquisition d’avril 1792. Contrairement à des croix que les paroissiens peuvent cacher, les cloches ne peuvent pas être soustraites aux lois révolutionnaires.

À Touquin, en 1793, deux cloches (la grosse et la petite) sont descendues et transportées à Coulommiers pour y être fondues et transformées en monnaies ou en canons. L’église Saint Étienne conserve une seule cloche dite de « sûreté » à l’instar du tocsin (Toque le saint) :

Église Saint Étienne de Touquin, la cloche Catherine datée de 1673 (Ph. F. Rigault)

Outre cette fonction d’alerte, la loi autorise les sonneries du matin et du soir encadrant le temps du travail en reconnaissance de la coutume. Constatant une pratique religieuse de plus en plus ostentatoire, c’est par l’intermédiaire des maires citoyens que le préfet appelle les prêtres à un comportement de réciprocité près de deux ans après le rétablissement de la liberté de culte.

  • Un contre tous

D’autres documents concernent l’introduction semée d’embûches de nouveaux poids et mesures. L’idée n’est pas nouvelle et des travaux débutent avant la Révolution à l’Académie des Sciences de Paris. Deux lois, celle du 1er juillet 1794 et la deuxième du 7 avril 1795, instaurent le système métrique décimal qui doit remplacer les quelque 800 mesures en usage dans le pays. Un arrêté du Directoire exécutif du 16 juillet 1799 s’adresse aux citoyens des douze Départements circonvoisins de Paris où les nouveaux poids et mesures ont déjà cours. Il est signé par Sieyès, Président du Directoire exécutif, par le futur préfet de Seine-et-Marne, Lagarde, ainsi que par Quinette et Aubin.

Dans un premier temps, un constat établit les difficultés d’application des lois. En effet, les lois stipulent une distribution gratuite de mètres aux marchands en gros et en détail sédentaires et ambulants ainsi que des tableaux de comparaison. Or, les finances ne suivent pas et les tableaux ne sont pas prêts. Une échéance du passage de l’aune, de la perche, de l’arpent et de la toise au mètre est fixée au 1er Vendémiaire de l’An VIII, le 23 septembre 1799. À cette date, les marchands devront être en possession d’un mètre après avoir, munis de leur patente, remis en mairie toutes les anciennes mesures. Les Autorités doivent également délivrer l’affiche portant le rapport de l’aune du Département en mètre. Il est rappelé à tous que l’enregistrement des mesures républicaines est obligatoire sous peine d’amende ou de sanction plus grave. L’obéissance à la loi nécessite une inspection à la charge de chaque mairie. Un citoyen, placé sous l’autorité du ministre de l’Intérieur, y est désigné. Il est convenu que ce citoyen percevra une indemnité proportionnelle à la charge du travail.

Le 24 octobre 1806, dans une lettre aux maires du Département, le préfet Lagarde se livre à un réquisitoire contre quelques maires et commissaires de police accusés de négligence coupable. Il s’appuie sur les rapports de l’inspecteur des poids et mesures accusant beaucoup plus d’autorités municipales que ne le laisse supposer le début de sa lettre. Plutôt que de prévenir la fraude en surveillant les marchands, les maires délèguent les amendes aux tribunaux. Pire ! Ils préviennent les contrevenants du passage de l’inspecteur devenant de la sorte ‘ennemis de leurs administrés’. Le préfet exhorte les Autorités locales à se procurer des étalons en cuivre, un mètre, un litre, un décalitre et une série de poids sous huitaine tout en insistant sur le fait qu’il ne souffrira d’aucune entorse à la volonté impériale. Après un revirement dérogatoire en 1812, le seul système métrique s’impose à tous en 1840. À cette date, le système a déjà dépassé les frontières de la France avec le gouvernement napoléonien de la première décennie du XIXe siècle en Europe.

  • Les mérinos en Brie, un état de 1810

C’est sur un ton beaucoup plus doucereux que Joseph-Jean Lagarde, préfet de Seine-et-Marne pendant près de dix ans, s’adresse aux maires qu’il ‘salue affectueusement’. Le 1er septembre 1810, Lagarde transmet une demande du ministre de l’Intérieur pour l’évaluation des progrès de l’économie agricole. La fiche à renseigner jointe Sur la pâture et le nombre de bestiaux existants dans la commune et sur l’importance des fermes qui s’y trouvent doit être envoyée dans un délai d’un mois. Lagarde insiste tout particulièrement sur le recensement du cheptel ovin qui devra faire l’objet d’une note sur l’évolution quantifiée des mérinos et l’état des laines résultant des croisements. En l’absence de cette note (a-t-elle été rédigée ?) et en fonction de la lisibilité des chiffres portés à l’encre, les résultats de cette commune rurale du nord-est de Coulommiers montrent une bonne reproduction expliquant l’importance du troupeau ovin, dépassant le millier, sans connaître toutefois la nature des animaux, mérinos, métis ou races communes.

L’introduction des mérinos dans le royaume et plus spécialement en Brie, prisés pour la qualité de la laine, a déjà plus d’une trentaine d’années en 1810. La progression des sciences en général, agronomiques en particulier au cours du XVIIIe siècle conjuguée à un ministre (Turgot) conquis par les réussites dans les manufactures textiles contribuent à l’établissement de quelques mérinos à Montigny-en-Brie (Montigny- Lencoup) sur le domaine de Philibert de Trudaine dans les années 1770. La présence de l’espèce est de surcroît favorisée par Henri-Alexandre Tessier, médecin et agronome, directeur de la ferme royale de Rambouillet en 1786 et propriétaire d’un domaine à Beton-Bazoches. En 1806 et en 1807, d’importants troupeaux sont introduits à Chessy, à Coupvray et Villeparisis alors que le mérinos est déjà implanté par achat de quelques têtes et acquisitions par réseaux. Ce dernier cas est illustré par les Montesquiou à Saints (ferme du château de la Tour ?) et La Fayette au château de la Grange Bléneau.

La Mare aux canards (MBA de Troyes) – Focale du tableau d’Hector PRON, peintre champenois du XIX e siècle auquel est attribuée une peinture d’un paysage à Touquin.

Bien que toutes les informations demandées ne soient pas renseignées, il est néanmoins possible d’envisager le fonctionnement du terroir de la commune. Il s’appuie sur l’unité agricole moyenne à une ‘charue’, à plus de 60%, soit une quarantaine d’hectares par ferme exploitée en faire-valoir indirect. Le cheptel vif est composé de chevaux, employés à la traction et d’un nombre limité de bovins, rapport de 1 pour 10 avec les ovins. Il est bien évident que les raisons de cette enquête sont guidées non seulement par la connaissance de la capacité productive d’un pays agricole mais également par les besoins militaires avec la nécessité d’assurer la monture, la viande, le textile et le cuir.

Les aspects militaires et notamment le décès de Claude JANIN à Touquin seront abordés une prochaine fois.

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